Des données techniques pas si techniques
Nos systèmes de gestion reposent sur des données techniques, maintenues souvent par des équipes dédiées. La rigueur et la discipline sont de mise pour maintenir en permanence ces données. Si vous avez participé à une mise en place d’ERP, vous savez combien on porte d’attention au sujet – qui parfois dérive un peu ensuite d’ailleurs.
Mais ce que l’on a parfois de la peine à admettre, c’est que ces données sont essentiellement des estimations, comme la plupart des éléments que nous manipulons pour piloter nos supply chains. Les prévisions sont des estimations. Les dates de besoin et les dates de livraison sont des estimations. Les nomenclatures sont des estimations (la consommation matière réelle diffèrera). Les stocks sont des esti… Hum, non pas les stocks, hein ? Quoique…
Les délais d’approvisionnement, de production, de transport sont – définitivement – des estimations. Ils sont parfois encadrés contractuellement, avec des fournisseurs par exemple, mais ils restent des approximations.
Les évènements de ces derniers mois – covid, composants électroniques, développements géopolitiques – ont montré avec encore plus d’acuité à quel point les délais sont affectés d’incertitude.
En même temps, les délais sont des données cruciales : comment assurer la disponibilité de nos produits, comment assurer un taux de service élevé, si on ne sait pas sous quel délai on peut réapprovisionner ?
A peu près correct plutôt que précisément faux
Mon prof de physique quand j’étais étudiant nous serinait : attachez-vous aux ordres de grandeurs plus qu’à la précision !
Nous avons besoin dans nos systèmes de délais (lead time) raisonnables, pragmatiques, qui vont nous permettre de dimensionner à peu près correctement nos boucles de réapprovisionnement et nos stocks, de prendre des décisions à temps, et d’annoncer des dates de disponibilité tenables lorsqu’on travaille à la commande.
Mesurer les délais effectifs, leur moyenne et leur écart type, et les comparer aux délais paramétrés est une démarche utile à intervalle régulier. Toutefois nous ne recommandons pas de calculer et d’ajuster automatiquement les délais paramétrés, notre expérience est qu’en faisant cela on ajoute du bruit et de l’instabilité. A l’instar des calculs de consommation moyenne jour, une mesure de délai a intérêt à être moyennée sur une période, et à être nettoyée des évènements exceptionnels.
Nous recommandons une maintenance et une projection des délais dans le cadre du processus DDS&OP, sur une base mensuelle ou trimestrielle par exemple, pour assurer que le modèle opératoire de pilotage reste réaliste.
Articles achetés : des délais d’approvisionnement chahutés
Les professionnels des approvisionnements ont touché du doigt ces derniers temps à quel point les délais sont des estimations en partie empiriques. Ils reflètent à la fois l’organisation et la capacité des fournisseurs, et peuvent être affectés par des situations de pénurie et d’allocation. Il n’est pas rare par exemple aujourd’hui de voir des délais annoncés d’un voire deux ans pour des composants électroniques, alors que ces mêmes composants il n’y a pas si longtemps étaient disponibles sous 3 ou 4 mois.
Les organisations achat ont de plus en plus la nécessité de s’engager sur des volumes à long terme, sur la base de prévisions que l’on sait fausses, et tout particulièrement à un ou deux ans. C’est la loi du marché actuel sur plusieurs commodités, et l’instabilité géopolitique fait qu’on ne sortira pas à court terme de ces contraintes. Ces engagements de volume ont vocation à être issus de projections DDS&OP, avec évaluation de scénarios et validation du niveau de prise de risque.
Les buffers DDMRP, eux, devraient être dimensionnés sur le délai d’appel de livraison, plus court en général que l’horizon d’engagement. Ils permettent un contrôle du flux d’approvisionnement au rythme de la demande réelle des jours / semaines à venir, et de caler l’exécution. Lorsque vous concevez votre modèle faites bien le distinguo, et évaluez le délai pertinent pour dimensionner les buffers sur vos sites.
Articles fabriqués : sus aux horizons figés !
Pour les articles fabriqués les délais utilisés sont souvent la résultante d’un horizon de planification et de processus de lissage de charge, bien plus que du temps effectif qu’il faut pour réaliser les opérations de production. L’expérience montre que plus vous figez, plus vous générez de l’instabilité dans les programmes de production et la nécessité de casser fréquemment le plan. L’horizon figé est l’ennemi de la stabilité. Pour déterminer les délais pertinents ayez une démarche pragmatique et graduelle de réduction des horizons figés, en challengeant le statu quo, en positionnant des découplages, en fiabilisant la disponibilité des composants, en passant de mailles de planification hebdomadaires à quotidiennes, etc.
C’est cet horizon de planification qui détermine combien de temps va s’écouler entre un signal de réapprovisionnement, et la disponibilité en stock de l’ordre déclenché.
Dans un modèle opératoire complet ces délais seront testés en capacité et intègreront les buffers de temps établis pour se protéger de la variabilité opérationnelle.
Articles distribués : les délais de transport priment
Pour des articles distribués les délais de transport déterminent les délais à intégrer – c’est-à-dire le temps entre le déclenchement d’un ordre de transfert et sa réception en stock à destination.
Ne pas confondre délai et fréquence
Lorsqu’on dimensionne des stocks ou qu’on s’engage sur des dates client, deux facteurs rentrent en compte : les délais évoqués ci-dessus, et la fréquence d’approvisionnement / de fabrication / de transport. Il y a souvent de la confusion entre les deux.
Sur un buffer de stock DDMRP le délai va dimensionner la zone jaune, et de manière moindre la zone rouge et possiblement verte. La fréquence va affecter principalement la zone verte, et plus marginalement, éventuellement, la jaune et la rouge.
La mise en place de méthodes Demand Driven, l’occasion d’une remise à plat
La démarche Demand Driven est très structurante. La première étape en est de visualiser les flux de l’entreprise, de prendre deux pas de recul et de se reposer ces questions de base : quels délais utiliser, quelles fréquences, nos horizons figés sont-ils inadaptés, etc. Une fois le modèle mis en place les rapports de performance vont permettre d’en mesurer la pertinence dans le temps, et de nous assurer que nous maintenons en permanence un modèle pertinent.