Fin 2023, alors que j’assistais à une conférence consacrée à la Supply Chain organisée par un grand cabinet d’analystes, j’ai été particulièrement impressionné par une des présentations.
Une entreprise Autrichienne présentait son projet de refonte de ses processus de planification Supply Chain, soutenue par un grand cabinet de conseil pour la mise en place d’une plateforme digitale faisant partie des solutions les plus en vue – vous savez, une de celles en haut à droite sur les référentiels, une des solutions « leaders ».
Il était question d’orchestration de processus, de prévisions, d’agilité, de S&OP. Franchement, la présentation était remarquablement bien articulée – je suis persuadé que la majorité des 150 ou 200 professionnels qui étaient dans la salle sont ressortis convaincus.
Voici un extrait du pitch de cette présentation : « Découvrez comment passer de la stratégie à l’action et tirer parti de la puissance de la prise de décision intégrée et fondée sur les données pour atteindre des niveaux de réactivité et de résilience sans précédent. »
Peut être un bémol était que la présentation décrivait essentiellement le déploiement de la solution et des processus en support, mais pas de résultat – il était encore trop tôt, fin 2023 la mise en œuvre se terminait.
Il s’agissait clairement d’un projet d’ampleur, et donc couteux. Le gros cabinet de conseil Allemand accompagnant l’entreprise a plusieurs centaines de consultants, et un revenu par consultant élevé. Les solutions de supply chain planning « leader » sont, de mon expérience, au bas mot entre 3 fois et 10 fois plus coûteuses qu’Intuiflow…
Fin 2024, l’entreprise Autrichienne en question fait la une de la presse.
Extrait :
« KTM vit des instants difficiles. La faute, notamment, à une surproduction massive de motos. Le stock actuel de machines autrichiennes est massif ! À tel point que cela pèse lourdement sur les comptes de l’entreprise, en difficulté. »
« Bien que la demande ait chuté, la production de motos n’a pas diminué. L’accumulation de stocks qui en a résulté a augmenté les besoins de liquidité d’environ 440 millions d’euros entre janvier 2023 et octobre 2024. Plus de 265 000 motos sont aujourd’hui en stock, soit le nombre de motos vendues en un an. »
Si vous êtes germanophones, plus de détails ici.
Allons bon, j’y avais pourtant cru. Comme les autres participants à la conférence. Tous n’ont peut-être pas fait attention à la suite de l’histoire. Peut-être certains sont-ils restés impressionnés par le projet, au point de recommander un parcours similaire à leur CEO et actionnaires ?
Il y avait tout pourtant, tout ce qui fait vibrer les analystes qui organisent ces conférences : de la technologie couteuse, de la prévision, du S&OP, de la collaboration, peut être même de l’intelligence artificielle ?
Il manquait peut-être un ingrédient : du flux tiré par la demande réelle. Le flux tiré ? Cette pratique « obsolète » selon ces mêmes analystes : vous savez, ce truc un peu trivial : on fabrique à la cadence à laquelle on vend – selon les consommations. Une logique promue dans l’industrie par Toyota depuis des décennies – et qui leur a permis accessoirement de devenir numéro un mondial…
J’entre dans ma quarantième année de pratique Supply Chain, et je peux en témoigner : le flux tiré est LA technique indispensable, qui devrait être au cœur de TOUTES les supply chains. C’est la base de l’adaptation en continu aux évolutions du marché. Dans un monde VUCA, c’est une question de survie ! C’est ce que « Demand Driven » signifie.
Et pourtant, lors de ces grandes messes de « Supply Chain Planning », le flux tiré est quasiment absent. Ce n’est pas relayé par les analystes qui ont pignon sur rue. Ce n’est pas glamour, possiblement parce que ça ne fait pas vendre plein de technologie et de conseil, dans lesquelles ces analystes ont un intérêt bien compris ?
Chaque année nous organisons des conférences utilisateurs, de tailles bien plus modestes que les évènements auxquels je fais référence – gratuites, sur invitation… Lors de ses conférences toutes les entreprises qui présentent témoignent de résultats, pas simplement de projets de résultats. Les résultats obtenus par Hutchinson, avec un payback de moins d’un an sur chaque site – par Freshmark (-7M€ de stock en six mois, tout en augmentant le service), par Kormotech, entreprise Ukrainienne qui se développe rapidement alors que la guerre l’a profondément touchée, etc.
Et si en 2025 on oubliait les leurres de quadrant magiques fascinés par l’intelligence artificielle pour se concentrer sur ce qui marche et délivre des résultats ?
