Depuis les années 90 l’industrie automobile occidentale a largement adopté les pratiques issues du système de production Toyota. 5S, amélioration continue sont le quotidien des équipementiers automobiles.
Le flux tiré – autrefois dénommé Juste à Temps – est au cœur de ces pratiques. Il est favorisé par le fait que la supply chain amont automobile est cadencée par les lignes d’assemblage des constructeurs automobiles.
Ce cadencement permet de réduire la variabilité de la demande appliquée aux fournisseurs en amont, au travers d’un flux lissé. A partir du moment où les constructeurs automobiles génèrent un signal de demande stabilisé, centré sur de forts volumes de pièces standardisées, destiné à des fournisseurs de proximité, les acteurs en amont peuvent optimiser leurs flux pour cadencer leurs propres opérations à la vitesse des lignes d’assemblage, et limiter les stocks au strict nécessaire.
Pour orchestrer ces flux les équipementiers automobiles ont mis en œuvre et sophistiqué les techniques de kanban importées du Japon, boucles de réapprovisionnement qui réagissent à la consommation des postes client. Boucles dont les tailles sont ajustées chaque semaine en fonction de l’évolution de la demande, séquenceurs (heijunka box) pour lisser la charge et optimiser le mix, mise en ligne, conception des moyens en fonction des principes du Lean : aucune industrie n’est allée aussi loin dans le déploiement des techniques de flux tiré.
Dans ce contexte optimisé au cours des dernières décennies il n’était pas évident que DDMRP apporte beaucoup. Quelle différence significative y-a-t-il entre un buffer DDMRP et une boucle kanban actualisée de manière dynamique ?
Pourtant, des acteurs du secteur qui avaient développé des systèmes de flux tiré très aboutis, comme nos clients Michelin et Aptiv, témoignent d’optimisations supplémentaires, avec des réductions de stock de 10-15% voire plus et une amélioration du service.
Comment expliquer ce phénomène ?
Une première piste est que de moins en moins les constructeurs automobiles sont à même de générer ce « signal de demande stabilisé, centré sur de forts volumes de pièces standardisées, destiné à des fournisseurs de proximité » évoqué ci-dessus.
La vérité de la supply chain Automobile d’aujourd’hui est une complexité incomparable avec celle des années 90 ou 2000. Quelques éléments caractéristiques :
- Les véhicules sont de plus en plus complexes et comportent toujours plus de composants. Dans les années 90 il n’y avait quasiment pas d’électronique embarquée dans un véhicule : un autoradio, les plus anciens d’entre nous se souviennent de l’innovation de l’injection électronique. La puissance de calcul embarquée et le nombre de microprocesseurs dans la moindre voiture citadine d’aujourd’hui aurait sans doute été l’équivalent d’un datacenter d’il y a 20 ans… Des études montrent que 40% du coût d’un véhicule est dans l’électronique.
- Les Supply Chains se sont complexifiées et allongées. Autrefois centrée sur une base de fournisseurs de proximité, cette industrie a fortement délocalisé vers des pays à coût de main d’œuvre faible, ce qui induit des délais plus longs et des risques supplémentaires.
- La personnalisation des véhicules, ainsi que la prolifération des modèles de véhicules, conduit à plus d’options et variantes, et donc à des besoins plus volatiles sur un assortiment plus large de composants.
- Les innovations et disruptions technologiques sont introduites de plus en plus vite – des fonctionnalités d’infotainment aux véhicules électriques et à la conduite autonome.
- Au-delà de la première monte, le marché aftermarket est de plus en plus compétitif et complexe.
Autant de facteurs qui mettent à l’épreuve le flux tiré « à l’ancienne » : les kanbans fonctionnent bien dans un environnement stable, mais ont du mal à d’adapter lorsque la variabilité augmente.
Même si la demande appliquée aux équipementiers automobile pour le flux de première monte est moins variable que dans d’autres industries en prise directe sur le marché, l’analyse des fluctuations des demandes EDI envoyées par les constructeurs aux équipementiers de rang 1 montre des effets d’accélération ou de ralentissement significatifs – dus à la diversité accrue des composants, mais aussi au fait que ces signaux sont majoritairement générés via une logique MRP classique adossée au PDP des constructeurs. Lorsqu‘on analyse les signaux de demande vus par les équipementiers de rang 2 et 3, l’effet coup de fouet est souvent dévastateur !
Par ailleurs la supply chain aftermarket est souvent restée à l’écart des techniques de flux tiré, et est basée sur une logique DRP classique, qui est bien connue pour générer des effets coup de fouet majeurs.
Généralisation d’un réappro en flux tiré dynamique digitalisé pour l’ensemble des fournisseurs, réduction des risques de rupture par un dimensionnement adapté des buffers et une priorisation structurée de l’exécution, amélioration continue des boucles de réapprovisionnement, intégration complète du flux tiré et de l’ERP, absorption de la variabilité issue du réseau de distribution aftermarket : autant de fonctionnalités de DDMRP mises à profit par les entreprises du secteur automobile qui l’ont adopté.
Les praticiens les plus avancés combinent les tactiques issues de la Théorie des Contraintes et du Lean, au travers de la mise en œuvre d’un modèle opératoire piloté par la demande complet (DDOM). Les tableaux Heijunka et les lanceurs physiques, difficiles à maintenir lorsque le nombre d’articles augmente, sont remplacés par un ordonnancement des contraintes et le pilotage visuel de buffers de temps grâce à la digitalisation de l’approche « Drum Buffer Rope ».
Le flux tiré a permis la survie et le développement de l’industrie automobile occidentale au cours des dernières décennies – il est temps de le faire progresser au niveau supérieur grâce à l’adoption des tactiques Demand Driven !