Dans un atelier de production, auprès d’un fournisseur, dans le transport, il y a des …brrr, ça fait un peu peur… oui, oui… des URGENCES.
Dans mon parcours professionnel j’en ai vu de toutes sortes : des rouges, des rouges vif, des rouges sombre, voire des noires.
Chez un équipementier automobile pour lequel j’ai travaillé, il ne fallait surtout pas lever la main si le chef entrait dans le bureau en demandant « qui a un passeport à jour ? ». Ce n’était pas dans l’intention de vous offrir des vacances au soleil ou une mission passionnante à l’étranger : vous seriez le soir même dans un avion transatlantique pour amener un « hand carry » à bon port, et de prendre un vol retour à l’arrivée…
Chez un autre équipementier, à l’occasion d’une crise sévère, nous avons livré des systèmes via une noria d’hélicoptères – les ouvriers de ce constructeur automobile se demandaient si c’était un remake d’Apocalypse Now !
Je me souviens aussi d’avoir réveillé à 5 heures du matin lors de Thanksgiving le supply chain manager d’une de nos usines aux US pour trouver un moyen d’acheminer des pièces le jour même en jet privé à destination d’un fabricant automobile premium en Allemagne.
Chez les équipementiers automobiles arrêter une ligne d’un constructeur n’est pas envisageable, donc les coûts d’urgence peuvent être considérables. Moins spectaculaires dans d’autres industries, les urgences sont toutefois un fléau extrêmement répandu – elles occupent une grande partie du quotidien des équipes supply chain et opérations. Ça prend beaucoup plus de temps de trouver une solution à une situation urgente, que de planifier les flux normaux.
On ne va pas se mentir. Lorsqu’on fait une carrière en supply chain, en vrai, on aime bien ça. Il y a de l’action. Il faut prendre des décisions rapides. On aime bien ce petit shot d’adrénaline, n’est-ce pas ? Cependant ces urgences on un effet délétère sur le P&L. La rubrique « premium freight » plombe les résultats, sans parler de la désorganisation permanente que l’on fait subir à nos ateliers et à nos fournisseurs.
Qu’est-ce qui cause des urgences ? Comment les traiter efficacement ? Quel est le niveau raisonnable d’urgences ?
De mon observation, les urgences sont parfois causées par de réels incidents extraordinaires – on va dire que ce sont des urgences légitimes – mais très majoritairement parce qu’on s’est pris tous seuls les pieds dans le tapis.
La cause prépondérante pour les urgences est que notre modèle opératoire n’est pas bien conçu.
Je vais prendre l’exemple d’une usine de ma connaissance. Les produits finis sont pilotés à la commande, avec un délai de 2 à 3 semaines dans un flux b2b. Le donneur d’ordre principal génère ses programmes vraisemblablement via son propre MRP. Les dates demandées et les quantités bougent chaque semaine. Comme ce flux est réputé être à la commande, on essaye en permanence de changer les priorités pour coller à la dernière demande en date.
On est à la commande, donc on ne maintient pas de stock produit fini, ce serait un investissement illégitime. Cependant on génère des coûts cachés énormes en changeant en permanence les priorités, en faisant des urgences… et le paradoxe est qu’en permanence on porte du stock de produit fini, puisque si des dates sont avancées, d’autres sont reculées, et les produits restent là…
Quand on analyse le portefeuille de produits finis, 30% des code articles, représentant plus de 70% de la charge de travail, sont très récurrents : leur positionner un buffer de stock (DDMRP ou Min-Max) permet de stabiliser le flux – sans pour autant augmenter significativement le stock par rapport à ce qui est actuellement subi.
Si le pourcentage d’ordres de fabrication ou d’ordres d’achats que vous devez traiter en urgence dépasse les 5%, vous avez sans doute un problème de conception de votre modèle opératoire.
Quand tout est urgent, rien ne l’est. La première des priorités est donc de faire baisser le nombre d’occurrence d’urgences, en repensant le modèle opératoire.
Il restera cependant des urgences, car il y a des aléas qui excèdent ce pour quoi notre modèle opératoire peut être raisonnablement dimensionné.
Pour ces urgences légitimes, assurez-vous que vous disposiez d’outils digitaux collaboratifs qui vous permettent de les traiter par exception et de manière cohérente tout au long du flux. Euh… non, n’insistez pas, Excel ou Google Sheets ne sont pas les outils adaptés pour cela…
Dans bien des cas, quand on échange avec différents acteurs dans l’entreprise, tous ne sont pas d’accord sur ce qui est urgent ou non – et dans ce cas l’effet Pavarotti prend le dessus (celui qui a la plus grosse voix gagne).
Alertes d’exécution, signal visuel sur les programmes au poste, priorités rouge sombre dans les tableaux de buffer – ce qui est important c’est qu’il n’y ait pas d’ambiguïté sur les priorités, et qu’aucune urgence ne se perde dans un méandre de nos flux physiques et informatiques…