Dans une de mes premières expériences professionnelles, à la fin des années 80, j’animais l’équipe méthode d’un site industriel. Nous avions au sein de l’équipe des spécialistes d’études de temps, qui avaient appliqué les méthodes MTM (Methods Time Measurement) pour évaluer au mieux les gammes opératoires. Ces gammes permettaient en particulier de définir les objectifs de productivité.
Nous avions essayé d’utiliser ces données de gamme pour projeter les charges et besoins en effectifs, en vain. L’addition de toutes ces gammes détaillées et théoriques, mêmes si elles étaient basées sur des méthodes scientifiques d’analyse du travail, donnait des choses irréalistes.
Pour arriver à une approche utile, nous avions repris un peu de recul pour raisonner de manière macro. Par exemple, sur le secteur d’assemblage, nous avions mesuré par période le nombre de pièces fabriquées par ligne d’assemblage, en fonction du nombre d’opérateurs par ligne.
C’était une approximation grossière. Nous avions des produits plus ou moins compliqués. Le mix produit pouvait évoluer dans le temps.
Pourtant cette approche-là nous avait permis de mettre en place un pilotage efficace des charges / capacité, d’établir un consensus avec les équipes de production, et d’alimenter les initiatives d’amélioration – bien mieux que les gammes détaillées n’avaient permis de le faire.
Je vous parle d’une époque où on commençait à peine à utiliser des PC, avec un Intel 8086 ou au mieux 80286 inside… Une partie de notre besoin de simplification était lié à ces limitations de l’époque.
Nous disposons aujourd’hui de moyens de calcul beaucoup plus puissants, nos MES sont capables de collecter des données très détaillées, mais pour autant adopter une approche macro basée sur la réalité démontrée reste la recette d’un pilotage charge / capacité efficace.
Le biais des coûts de revient et des objectifs
Les gammes opératoires, dans la majorité de nos entreprises industrielles très centrées sur les coûts, ont avant tout été conçues pour établir des coûts de revient. Elles comprennent déjà en général dès leur établissement des objectifs. Le coût de revient doit être inférieur à X.
Ces gammes sont ensuite utilisées pour mesurer la productivité. Leur utilisation va donc être influencée par les objectifs des uns et des autres.
Un responsable de production va peut-être inciter à établir des gammes conservatrices, de manière à montrer une belle performance. A titre d’anecdote j’ai connu une entreprise de chimie dont le patron de production était fier d’afficher des TRS supérieurs à 100%…
Inversement, j’ai aussi connu des responsables des opérations très volontaristes, qui intégraient une augmentation forte de la capacité dans les semaines et mois à venir, du fait de projets d’amélioration en cours – ou simplement par optimisme. On va pouvoir faire 10% mieux, donc pas besoin de recruter de nouveaux opérateurs. En général ça se traduit par une accumulation de retard…
Mesurer la capacité démontrée
La bonne approche bien sûr est d’utiliser la capacité démontrée pour planifier la charge des semaines à venir. On a démontré de manière répétable qu’on savait faire en moyenne 1200 pièces bonnes par heure, on planifie 1200 pièces par heure. C’est du bon sens.
Cependant, ce n’est pas toujours si simple.
Si vous avez des lignes de fabrication en flux, cette approche fonctionne bien.
Si vous êtes dans un environnement « job shop », avec des moyens partagés, des produits dont les gammes opératoires sont disparates, des combinaisons d’opérations cadencées par des temps machine et d’autres par des temps homme, établir la capacité démontrée est une autre paire de manches.
Dans cet environnement nous recommandons d’abord d’identifier les ressources contraintes, et de mesurer sur ces ressources le nombre d’heures de gamme théorique réellement délivrées par cette contrainte au fil du temps. Si par exemple nous avons une machine contrainte qui est ouverte 24h par jour, et que sur les 8 dernières semaines nous avons réalisé sur cette machine en moyenne l’équivalent de 18h de temps de gamme théorique, nous allons planifier 18h de charge par jour pour les semaines, voire les mois à venir pour le RCCP.
Ce qui vient d’être énoncé nécessite des outils d’ordonnancement et de suivi d’exécution adaptés – si vous voulez on en parle 😉
Ajuster les lancements en flux tiré
Oui mais, me direz-vous, si on planifie sur capacité historique démontrée, on ne va jamais s’améliorer ! La production a besoin d’objectifs, il faut lancer une charge significative pour que tout le monde voit que ça pousse et qu’on donne le meilleur !…
On connaît le résultat de lancements en production trop élevés : accumulation d’en-cours, confusion des priorités (tout devient urgent), etc.
En revanche si les étapes clés de fabrication – les contraintes – sont chargées sur la base de leur capacité démontrée et qu’elles prennent de l’avance, il est important que la cadence des lancements soit asservie en flux tiré sur le débit réel de la contrainte. De cette manière on va continuer à l’alimenter sans interruption, et la capacité démontrée va progresser !