Production et Supply Chain, les frères ennemis

« Ah si seulement la prod faisait ce qu’on leur dit » soupirait récemment un de nos clients, directeur supply chain.

J’ai vécu trente ans dans des comités de direction d’usines, je peux donc témoigner des chicaneries traditionnelles. « Je ne peux pas faire ma production car on est en rupture des composants que tu approvisionnes ». « Je ne peux pas livrer mes clients car tu n’as pas respecté le programme de production ». « Tes tailles de lot sont trop importantes, on a trop de stock mais tu ne fais pas les produits les plus urgents ». « Tu changes trop souvent le programme de production, on ne peut pas faire tourner les machines ».

Je n’en rajoute pas, si vous travaillez en usine, je suis sûr que vous voyez de quoi je parle.
Bien sûr c’est caricatural, mais en même temps il y a des raisons structurelles qui font qu’il est difficile d’aligner les équipes.

Ne nous y trompons pas, la valeur délivrée par une usine est réalisée par les équipes de production. Ce sont les équipes de production qui assurent la valeur ajoutée. C’est dans le Gemba que ça se passe.

Dans une usine, c’est l’équipe de production qui opère les équipements, c’est-à-dire une part importante du capital investi par l’entreprise. C’est aussi elle en général qui dispose des effectifs les plus importants. Exploiter au mieux ce capital machine et humain est donc au cœur de sa mission – c’est ce qui occupe le temps des managers de production, et ce sont les indicateurs sur lesquels ils sont jugés. Productivité, TRS, temps alloué/temps passé, etc.

Le ou la responsable de production doit avoir une forte personnalité, pour diriger des équipes importantes avec autorité.

L’équipe supply chain porte la responsabilité des stocks, autre composante essentielle du capital investi par l’entreprise. Ces stocks peuvent d’ailleurs constituer la part prépondérante du capital de l’entreprise. Ils intègrent aussi les en-cours d’atelier. Les stocks sont en partie des investissements délibérés, mais sont aussi grandement subis – ils sont la résultante, le symptôme de processus. Si par exemple nous avons de grandes campagnes de production, nous allons induire des stocks élevés de produits fabriqués. Si le temps de traversée dans l’atelier est long, le montant d’en-cours sera élevé.

L’équipe supply chain a un rôle hybride, à la fois de support et de donneur d’ordre. L’équipe supply chain porte la voix du client, et elle doit apporter une vue systémique, bien au-delà du périmètre de l’atelier.

Le ou la responsable supply chain doit avoir une forte personnalité, pour piloter des partenaires internes et externes avec empathie mais fermeté.
Mesures de performances conflictuelles, interdépendance mutuelle, jeux de pouvoirs – tous les ingrédients sont là pour créer des dissentions entre production et supply chain.
Nous vivons cela lors de la mise en place des processus d’ordonnancement et d’exécution en flux tiré Demand Driven, basés sur l’approche DBR (Drum-Buffer-Rope) de la Théorie des Contraintes.

Autant la mise en place du DDMRP (gestion des stocks) se passe souvent sans heurts, car on reste dans le pré carré des équipes supply chain – autant quand on rentre dans l’atelier, les choses se compliquent singulièrement, et nécessitent un engagement commun fort des responsables de production et supply chain.

Pour faciliter cette synergie, il est nécessaire de partager des concepts communs – au travers de formations transverses – de concevoir le fonctionnement cible en commun, en comprenant les impacts sur les mesures de performance et sur les modes de fonctionnement au quotidien – et de prendre le temps d’expérimenter et de persuader. Ce sera plus facile si l’entreprise a une forte culture Lean.

L’utilisation d’une solution digitale pour supporter la transformation facilite cet alignement : lorsque les deux parties trouvent des bénéfices grâce à une visibilité renforcée et à des processus facilités, la moitié du chemin est faite…