Si les prévisions sont fausses, à quoi bon prévoir ?
Le sujet des prévisions agite la communauté supply chain depuis des lustres. On a investi beaucoup, et on continue à investir sur ce sujet, avec un regain d’intérêt à l’âge de l’intelligence artificielle, du machine learning, du big data. Nous croisons les doigts : peut être ces technologies vont-elles nous aider à améliorer la fiabilité des prévisions ?
Bien souvent nous sommes déçus : quels que soient nos efforts en matière de prévisions, les ventes réelles sont sensiblement différentes, en particulier au niveau code article.
Nos portefeuilles de produits sont toujours plus diversifiés, de nouveaux produits sont introduits à un rythme effréné, il y a de plus en plus d’acteurs en concurrence sur le marché, les incertitudes géopolitiques sont omniprésentes, sans même parler de la pandémie.
Donc il n’y a pas de secret : la fiabilité des prévisions se dégrade, et continuera à se dégrader, car tout simplement l’environnement dans lequel nous évoluons est de moins en moins prédictible.
Lorsque DDMRP a émergé il y a eu beaucoup de débats : comme les prévisions sont fausses, cassons notre boule de cristal, établissons des buffers basés sur la consommation moyenne jour des dernières semaines, et tout ira bien. Le débat a fait rage en France en 2014. Curieusement il ressurgit encore de temps en temps, ce qui dénote de multiples incompréhensions.
Je n’ai jamais été d’accord avec le discours portant sur l’abandon des prévisions. Tout simplement car j’ai 35 ans d’expérience en supply chain, et que j’ai vu par la pratique l’intérêt de processus de prévision pragmatiques. J’ai aussi vécu des situations extrêmes dans un sens et dans l’autre, et appris à m’en méfier…
The F*** word ou l’illusion de la demande réelle
J’ai travaillé il y a des années dans un groupe américain de dispositifs médicaux en pleine transformation Lean, s’appuyant à l’époque sur les principes de Demand Flow Technology. Les leaders de cette transformation dans l’entreprise étaient de farouches opposants à toute prévision – « Forecast » était considéré dans l’entreprise comme « The F*** word », à bannir. Tout devait être fait sur la base de la « vraie demande ».
Un des chefs de projet US avait ainsi mis en œuvre le pilotage d’une usine clé en Europe en flux tiré. Son obsession étant de ne pas utiliser de prévision, il avait basé les consommations moyennes par jour sur l’historique des ventes des trois derniers mois, censé représenter la « vraie demande ». Lorsque les ventes se sont emballées en octobre – comme chaque année – alors que la « vraie demande » était calculée sur juillet-septembre, période faible due aux congés en Europe, que pensez-vous qu’il s’est passé ?
Il a fallu 5 mois à l’usine, à pleine capacité, pour se remettre d’aplomb, et un an à l’entreprise pour retrouver la confiance de ses clients…
L’exemple semble caricatural, il est pourtant bien réel. Que manquait-il à cette entreprise ? Un peu moins de dogmatisme et un peu de bon sens, pour alimenter un processus S&OP avec des prévisions agrégées pertinentes, et ajuster les boucles kanban en fonction de ces prévisions déclinées sur les articles stratégiques.
L’illusion des prévisions détaillées
A l’autre opposé du spectre, de multiples entreprises déploient des efforts démesurés pour établir des prévisions très détaillées : au code article, au client, à la semaine voire au jour.
J’ai assisté lors d’une conférence à la présentation d’une entreprise du secteur de l’habillement qui avait mis en œuvre des traitements sur une base de données big data (on parle en téraoctets), pour déterminer des prévisions par jour et article au niveau magasin. Mais une fois que je sais qu’on devrait vendre 0,00001 unités de ce T-Shirt en taille S lundi dans mon magasin, je fais quoi ?
Là encore, l’exemple est extrême, mais si vous observez le processus de prévisions de la majorité des entreprises, il est réalisé à un niveau bien trop détaillé pour être utile. Plus une prévision est détaillée, plus elle est fausse. Plus une prévision est détaillée, plus ça requiert des efforts de vos équipes de prévisionnistes ou de gestionnaires de la demande.
Beaucoup d’énergie pour un résultat faussement précis à partir duquel on ne peut pas prendre de décision pertinente, évitons ces gaspillages.
Certains articles ne méritent pas un effort de prévision. Prenons l’exemple de l’article dont la demande est la suivante :
Est-ce qu’une prévision va vous aider à traiter cet article ?
Soit vous prévoyez une vente de 0,02 par jour soit 0,6 par mois, ou de 1 tous les x mois et vous avez toutes les chances de positionner cette prévision sur le mauvais mois – ce qui ne correspondra jamais aux ventes. Vous êtes donc condamnés à une fiabilité de prévision de 0%.
Est-ce que ça vous empêche sur cet article de fournir à vos clients un excellent service tout en optimisant l’utilisation de vos ressources ? Non. Selon le délai de réappro de l’article un min/max avec un max à 2 va faire l’affaire.
La vraie question que vous devez vous poser est : quel processus de réapprovisionnement dois-je mettre en place pour répondre aux commandes sur cet article ? Est-ce que je dois stocker cet article ? Comment déclencher son réapprovisionnement ? Est-ce que je peux le réaliser en différentiation retardée ?
Pour un tel article, n’utilisez pas l’énergie de vos équipes à élaborer une prévision fausse : concentrez vos efforts pour mettre en place un modèle opératoire agile et tiré par les commandes réelles.
Des prévisions, pour quoi faire ?
L’objet d’une information est d’aider à prendre des décisions.
Les prévisions sont utiles à plusieurs fonctions dans l’entreprise, pour leur permettre de prendre des décisions.
L’équipe de direction a besoin de scénarios de prévision pour envisager les futurs possibles pour l’entreprise, et anticiper l’adaptation des ressources et des initiatives stratégiques. On est au cœur du processus S&OP, et nous avons besoin de vues agrégées par familles commerciales et industrielles, avec des scénarios alternatifs et l’identification des évènements majeurs.
Les prévisions sont très utiles aussi aux équipes de ventes et marketing. Elles permettent d’appréhender les tendances, de corréler les actions de promotion et les volumes, d’alimenter la dynamique commerciale. Pour cela il est pertinent de travailler par client majeur, par marché, ligne de produit, géographie. Ce qui prévaut c’est le processus collaboratif et la capture des informations pertinentes sur la vie des marchés, ce ne sont pas les algorithmes statistiques.
Attention toutefois : pour avoir du succès, une force de vente doit être optimiste ! Les lancements de nouveaux produits vont marcher du feu de Dieu, cette promotion va laisser les concurrents sur place – c’est humain, et sain pour motiver une force de vente. Etes-vous sûrs de vouloir aligner votre capacité et vos stocks sur cet optimisme ?
Pour les planificateurs d’un modèle opératoire Demand Driven, les prévisions sont utiles pour décider à temps des adaptations du modèle opératoire : temps d’ouverture des équipes, prise d’avance en anticipation d’une promotion ou des congés d’un fournisseur, etc. Elles peuvent être utilisées pour l’ajustement dynamique des buffers de stock. Pour certains produits, ajuster les buffers au vu d’un historique de consommation récent fonctionne très bien, dans d’autres cas, en particulier sur des produits sujets à promotions, la prévision doit être utilisée pour ajuster les buffers. Bien souvent un mécanisme de dimensionnement des buffers combinant 50% d’historique récent et 50% de prévision donne de bons résultats.
Trois audiences différentes qui ont des besoins distincts, et qui mettent en perspective les éléments clés d’un processus de prévision pertinent :
- Être capable facilement d’agréger des vues par familles / regroupements selon plusieurs dimensions. Une prévision agrégée est plus fiable qu’une prévision détaillée, et les prises de décision se font à des niveaux agrégés.
- Pouvoir générer des scénarios – optimistes, pessimistes, et si on gagne cet appel d’offre ?
- Savoir capturer les informations concernant les évènements significatifs sur les marchés.
- Pouvoir générer des prévisions sur les buffers de stock dynamiques, seulement pour les articles stratégiques qui le méritent.
Les prévisions sont fausses, et alors ?
Certes les prévisions sont fausses. Toutefois nous avons besoin d’un juste effort d’anticipation. Même au cœur d’une boucle kanban il y a un « takt time » – qui n’est rien d’autre qu’une prévision.
Revenons aux bases de notre besoin de prévision. En soi, ce qui vous intéresse n’est pas de prévoir ! Vous voulez juste être capable de répondre en délai court à une commande client, de manière profitable.
Pour cela vous devez vous adapter en permanence, pour disposer des bonnes ressources au bon endroit au bon moment. La question est de réapprovisionner de la bonne manière, pas de prévoir – c’est-à-dire d’établir un modèle opératoire piloté par la demande (Demand Driven Operating Model).
Pour en savoir plus sur la prise en compte des prévisions dans nos solutions Demand Driven, n’hésitez pas à nous demander une démo !